Mars 2020
À la maison des artistes de Gaillac, nous étions confinés.

Nous avons écumé les tempêtes et repris notre souffle lors des accalmies.
Comme une bonne partie du monde…
Nous avons tenu le cap de bonne espérance par un entêtement à braver la houle.
Et surtout grâce aux inconnus que nous avons observés à la lenteur de nos jours.
Les solitaires qui logent à la résidence Camille Claudel et les rencontres fortuites au cours de nos balades chronométrées ont nourri notre imagination débridée.
Les portraits confinés ont pris leur place comme un rendez-vous pour reprendre notre souffle et garder le lien avec les autres.
Comme une récréation au cours de ce long dimanche de 55 jours…


Mars 2021,
un an plus tard, nous sommes invités par la ville de Gaillac à exposer nos portraits dans la ville à l’occasion du Printemps de poètes.
L’occasion aussi de quelques portraits démasqués dans la rue.

 

Portraits confinés

Olive

Maigrelette sur ses cannes
loin de son Popeye, Olive fume
et papote sur le bitume
sans crainte du gros rhume
qui depuis des jours nous embrume.

Agitée dans sa cabane
ce qu’elle kiffe la tendre Olive
c’est son arbre et le chant des grives.
Doux refrain de ses heures pensives
face au monde en dérive.

La vieille se pâme et se fane.
Sans fard un air de canaille.
éclaire son minois et sa gouaille.
Rien n’atteint son intime sérail
où elle livre ses secrètes batailles

Olive rit, fume et flâne.
Elle fabrique ses conserves
en cette période de réserve
où le calme ombrage sa verve
et s’étend comme un long hiver.

Au soir venu et oui, elle glane
quelques passants pour la causette
histoire de tailler une dernière bavette
avant les mirages de sa couette
où Popeye lui conte fleurette.

24 mars 2020
Portraits confinés – Cara
Maison des artistes Gaillac

 


 

MONSIEUR RESPOUNCHOUSSE

Gueule cassée sur corps d’enfant.
L’homme fouine cherche animal.
Il cherche dans les fossés l’asperge sauvage,
insouciant et naïf dans la verdure printanière.

Il parle à grands jets et hoquets
sans queue ni tête oui il parle.
Un antihéros aux yeux rieurs
sorti tout droit d’un ancien roman.

Steinbeck ressurgit
avec ses souris et ses hommes.
Je me souviens, tiens, je me souviens.
L’idiot du village aime tant les femmes
qu’il les tue par ses étouffantes étreintes.

Nous sommes à l’heure où le câlin tue
proscrits derrière nos lignes de démarcation.

Et pourtant oui pourtant…

Notre monsieur du bord du Tarn
qui semble engoncé sous sa peau
sous l’oppression du moment,
ce monsieur a d’inscrit sur son torse tendu
un énorme LOVE LOVE rose éclatant.

Son tee-shirt enlace mes doutes
et calme ma torpeur.
Le monsieur perdu avec son bouquet vert
et sa casquette trop rouge
m’a offert une lueur une lueur d’innocence.

21 mars 2020
Portraits confinés – Cara
Maison des artistes Gaillac


 

Madame Rose Bonbon

Je suis vieille et alors !
Ma boutique est un écrin de guimauve le jour.
Ma cuisine un antre à p’tits fours le soir.

Moi ce que j’aime ne vous en déplaise,
c’est le sucre, le beurre et les douceurs.

Je fabrique mes saveurs
quelle que soit l’heure
et j’appâte gosses et amants
par mes vitrines alléchantes.

Je suis vieille et alors !
Je recouvre de rose
mon salon, mon sourire
et mes crèmes savantes.

Et ne vous en déplaise
ma porte est ouverte
en ces jours de disette.
Et sachez, mes coquines recettes
Raviront les plus téméraires.

Je suis vieille et tant pis !
Si la fièvre me tuait
j’en aurais bien profité.

Mes gâteaux confinés
sur mes étals gourmands
de leurs couleurs safranés
rosiront encore et encore
les cœurs et les papilles enjoués.

21 mars 2020
Portraits confinés – Cara
Maison des artistes Gaillac

 


Don Quichotte de la Corona

Des sanglots pleins la caboche
Il a le spleen et l’anicroche
Collés à son costume anthracite.

Ses poches remplies de mélo
Creusent sa gueulent de dévots
Ridées par tous ses fantoches.

Il tricote avec ses ombres
Une bombe posée dans le cœur
Il jongle avec son minuteur.

Quichotte tombé dans l’enfer
Il brûle et il déblatère
Mirage dans les rues désertes.

A vif, son artère coronaire
Bat une cruelle chamade
S’acharne à sa cantonade.

Le Covid l’importe peu
Il l’a transformé en gueux
D’un coup franc et sans bravade.

Achevé devenu vieux
En un jour malheureux
Il traine l’odeur de l’errance.

Dans la brume de son passé
Au loin son phare était l’oubli
Son salut se tenait ainsi.

Dans le silence des confinés
Les souvenirs dentelés
En paquet ont ressurgit.

Isolé, abandonné
L’homme arpente son passé
Et sur les pavés dégueule.

Et ses grandes mains calleuses
S’agrippent sans cesse l’une à l’autre
Solitaires et chômeuses.

Leurs labeurs achevés
Au seuil des usines fermées
Et leurs machines éteintes.

Leurs caresses abandonnées
Sur la rive du corps défunt
De l’aimée, la Dulcinée.

Avec son accent latino
Il a la posture des héros
Qu’on achève sur nos billots.

Don Quichotte de la Corona
Se balade avec les anges
Et chevauche ce monde malade.

Le sel de sa déchéance
Recouvre ce printemps
D’une neige de faïence.

28 mars 2020
Portraits confinés – Cara
Maison des artistes Gaillac


LES SŒURS SISTERS

La part de l’autre suit l’une.
La part de l’une suit l’autre.

A part du monde
la tenue altière,
elles marchent fières
suivies de leurs ombres.

L’une et l’autre fument,
attisent leur brume
dès le matin levées
jusqu’au soir fanées.

Seul le soleil
caresse ces dames.
Sur leur siège se pâment
et lézarde et s’enveillent.

La part de l’autre bruisse.
La part de l’une bruine.

Toute contenue
rien ne parait
sur leur mine figée
à l’orée d’un passé.

Une traine usée
de trop fines dentelles
ombrage les demoiselles
d’un drame sourd et secret.

Telles des funambules
sur leur fil tendu
en déséquilibre, elles glissent
au deçà des abysses.

La part des autres les suit
dans leurs têtes s’enfuient.

2 mai 2020
Portraits confinés – Cara
Maison des artistes Gaillac


MISTEUR DOC’

Dans l’ilot des vieux
où dorment nos aïeux
la chaumière de Misteur Doc’
s’impose comme un roc.

Chevalier des dames grises
à sa tâche il s’autorise
quelle que soit la crise
qui fâche et s’éternise

Misteur arrose les gazons
des veuves solitaires.
A chaque désir il considère
avec grandeur et dévotion.

Oui de grandeur il s’agit
lorsque nous parlons ainsi
des petites gens qu’on oublie
dans l’agitation de nos folles vies.

Coquet dans les jardinets,
son impeccable mise
souligne sa grande maitrise
et son port si altier.

A l’oreille sa boucle d’argent
révèle le pirate en chemise
qui à la moindre bise
dégaine pour ses dames
…abris et auvents.

Parfois il bougonne Misteur
mais sa bonté l’effleure
et le rappelle au labeur
tant dévoué et si hâbleur.

Si tu le croises dans ces jours interdits,
n’aie crainte de paroles il te ravira.
Et si tu sors de ta grande apathie
d’un sourire édenté alors il t’ensoleillera

22 mars 2020
Portraits confinés -Cara
Maison des artistes Gaillac


Madame OuiOui

Assise au seuil de sa vie
en panache, son gardien gris
étire ses pattes lascives
sur ses lentes rêveries.

Telle une poupée russe
en rondeur généreuse
elle feint d’être une muse
et prend pose la mine rieuse.

Coquette elle soigne sa mise
même aux heures indécises.
Et chaque jour en élégance
dans les vents sculpte sa danse.

Peu bavarde, elle laisse les mots
aux autres, aux fleurs et marmots.
Parfois réplique d’un geste savant
Un oui comme seul présent.

Seul un chevalier servant
connait la toile tendue
de ses secrets cousus
qu’il détisse d’un seul élan.

Alors, alors elle laisse se défaire
le chandail du souvenir
et sa parole nue s’étire
libre, s’effile dans l’air.

Vous verrez le soir venu
un joli couple de vieux
murmurer de tendres aveux
en défroissant leur solitude.

Mardi 7 avril 2020
Maison des artistes Gaillac
Portraits confinés – Cara